Verre cassé, Alain Mabanckou

L’histoire…

Verre cassé est un client assidu du bar Le crédit a voyagé. L’escargot entêté, patron du bar, lui propose d’écrire un livre sur les habitués du bar. Un peu réticent au départ, Verre Cassé se lance néanmoins dans l’aventure. A travers un regard d’ivrogne et d’éternel pessimiste, Verre cassé nous rapporte les histoires rocambolesques de cette troupe aux aventures extraordinaires.

Mon avis…

Je ne prendrai aucun risque. Je vous le dis d’emblée. Ce livre est un chef d’œuvre, un énorme coup de cœur. Je vais tenter de vous donner envie sans pour autant en dévoiler trop. La tâche se révèle ardue…

L’histoire se déroule au Congo, dans un bar où des personnes que l’on pourrait qualifier sans crainte de « rebuts de la société » (telle est la manière dont elles sont décrites du moins) noient le peu de dignité qui leur reste dans l’alcool. A travers les expériences de ces personnes, l’auteur nous expose des sujets qui continuent à dominer nos sociétés : la femme, l’adultère, la prostitution, la religion, le rapport de l’Afrique à la France etc.

Le fait pour l’auteur de choisir un ivrogne comme narrateur a permis d’aborder sans langue de bois ces sujets graves, parfois tristes, avec dérision.  En faisant abstraction du politiquement correcte, il s’est évertué à démonter tous les codes qui régissent nos sociétés actuelles… avec humour, toujours…

« (…) et même que je n’embauchais pas que les Nègres parce que, entre nous soit dit, Verre Cassé, y a pas que les nègres dans la vie, merde alors, y a aussi les autres races, les Nègres n’ont pas le monopole de la misère, du chômage, j’embauchais aussi des Blancs misérables (…) » P. 67

L’absurde y est présent à un tel point que Verre Cassé en vient à réfuter certaines découvertes scientifiques sur lesquelles nous continuons à baser notre existence. A cet effet, Verre Cassé disait sur Archimède et Newton :

«(…) Je dirais qu’on distinguait jadis deux grandes catégories de penseurs, d’un côté y avait ceux qui pétaient dans les baignoires pour crier à plusieurs reprises “j’ai trouvé, j’ai trouvé”, (…), et puis il y avait la deuxième catégorie d’illuminés qui n’étaient que des oisifs, de vrais fainéants, ils étaient toujours assis sous un pommier du coin et attendaient de recevoir une pomme sur la tête pour une histoire d’attraction ou de pesanteur (…) » P. 115

J’ai énormément apprécié toutes les références littéraires subtilement glissées tout au long du récit. Verre Cassé était avant tout un être instruit et cultivé ayant beaucoup lu. L’auteur a réussi avec brio à insérer ces références au bon moment si bien qu’elles se fondaient totalement dans l’histoire.

« (…) Il devait nous prendre pour des gueux, pour des culs-terreux, bref pour des prolétaires de tous les pays qui ne comprenaient pas qu’il fallait s’unir (…) » P.96 (En référence à la célèbre phrase de Karl Marx)

« (…) Je lui ai dit que je laissais l’écriture à ceux qui chantent la joie de vivre, à ceux qui luttent, rêvent sans cesse à l’extension du domaine de la lutte (…) » P.199 (En référence à l’œuvre de Houellebecq)

J’ai également été émerveillée par les passages consacrés aux monologues de Verre Cassé. La plume de l’auteur y prend des tournures poétiques et offre une analyse sur des sujets qui nous touchent tous…

« (…) Et on sait que pour les grands artistes la gloire ne vient qu’après la mort, les vivants ont beau s’agiter, recevoir des lauriers, ce n’est que du succès mais pas la gloire, le succès est une étoile filante, la gloire est un soleil (…) » P. 144

Comme pour défier les codes de la langue française, Mabanckou a débuté son œuvre par une minuscule et ne l’a pas achevée avec un point. Les 247 pages du récit ne comportent que des virgules. C’était audacieux, c’était inédit et il l’a fait. Le récit prend ainsi des airs de conversation et se lit quasiment d’une traite. Encore une fois, c’est un chef d’œuvre.

Je n’en dirai pas plus, j’en ai assez dit, j’en ai trop dit, bref lisez le.

Un chef d’œuvre…

Avec Passion,

Dyna.