Noir, cette couleur qui ne nous définit pas

En 2018, Kim Kardashian se présente aux MTV Movie & TV Awards en arborant des tresses. Elle commet ensuite l’irréparable en nommant deux fois ces tresses « Bo Derek Braids ».

Pour la petite histoire, en 1979, Bo Derek est le mannequin qui est apparu dans le film « Elle » avec des cheveux nattés. Cela a entraîné une puissante mode à l’échelle planétaire. Toutes les femmes voulaient des « Bo Derek Braids ». Le problème est que ce ne sont pas des « Bo Derek Braids ». Cette coiffure a un nom, les « Fulani Braids » et elle existe depuis des années déjà dans les cultures africaines.

Toujours en 2018, des voix s’élèvent contre les principales maisons de haute couture. On leur reproche de reprendre des tissus, des styles ou des designs africains et d’en tirer un maximum de profit sans jamais faire mention de leur origine.

Ces exemples sont ceux que les participantes du club de lecture que j’animais m’ont opposé lors d’un échange houleux autour de l’appropriation culturelle. Elles étaient confuses face à mon indifférence et je ne comprenais pas pourquoi cela les scandalisait autant. Je me suis retrouvée à défendre mon point de vue seule et contre toutes.

Avant de poursuivre, il est important de définir le terme « appropriation culturelle » dont le sens a évolué en même temps que les bouleversements sociétaux. A l’origine, il s’agissait uniquement de l’utilisation d’éléments d’une culture par les membres d’une autre culture. Avec le temps et l’évolution du contexte historique aux États-Unis notamment, il a acquis une connotation négative. Il se réfère désormais à l’idée que l’utilisation d’éléments d’une culture par les membres d’une culture dominante serait intrinsèquement irrespectueuse et constituerait une forme d’oppression et de spoliation.

Pour en revenir à mes échanges houleux avec le club de lecture, j’ai tenté de leur expliquer que nous aussi en Afrique, nous portions des vêtements de blancs. Nous avions également adopté une partie de leur culture. Pourtant, ils ne s’en offusquaient pas. Elles m’ont répondu avec fureur que ce n’était pas pareil. Et en effet, si l’on s’en tient à la seconde définition du terme « appropriation culturelle », elles avaient raison. C’est le fait pour le dominant de s’approprier la culture du dominé qui caractérise l’appropriation.

En réalité, nous ne pouvions pas nous comprendre. Nous n’avions pas le même vécu. Comme l’a dit Léonora Miano, lorsque vous grandissez en majorité, vous grandissez en tant qu’individu. Je suis subsaharienne et j’ai grandi entourée de gens comme moi, des Noirs. La couleur n’avait donc aucune signification particulière. Je ne doute pas de ma culture car c’était la culture dominante et elle était acceptée par tous. Ayant grandi dans un tel contexte, le fait de voir des blancs arborer des tresses ou des tissus africains sans en préciser l’origine me touche modérément. Petite, lorsque je voyais des blancs en pagne, je trouvais cela rigolo. Aujourd’hui, ma position n’a pas changé. Cela ne me touche pas particulièrement car la vérité est ancrée en moi.

Les autres participantes étaient des afropéennes, des françaises d’ascendance subsaharienne ou des antillaises. Dans son livre « Afropea », Leonora Miano dépeint avec justesse l’environnement dans lequel ils évoluent.

« Ils évoluent dans un environnement racialisé, inégalitaire en matière de représentation comme dans tous les autres domaines de la vie sociale. On y veille scrupuleusement à ce que l’image donnée des Afrodescendants ne soit jamais de nature à instiller en eux un sentiment de puissance, ou même, seulement, d’aisance à habiter son être. Le ridicule et la dégradation sont toujours là. »p.13

Contrairement à moi, les afropéens sont en minorité. Ils évoluent dans une société qui nie leur existence et leur culture subsaharienne. Ils sont victimes d’un manque de représentation. Ils doivent s’effacer, se fondre dans la masse, nier une partie de leur identité pour se faire accepter. Il est donc logique de les voir s’indigner lorsque les dominants s’approprient la part de leur culture qui leur est justement niée.

Pour aller plus loin, Léonora Miano explique dans son livre que lors de l’un de ses déplacements en Inde et au Japon, elle a demandé à certains autochtones quelle serait leur réaction si leurs parures ou styles vestimentaires étaient adoptés par d’autres populations. Dans les deux cas, la réponse fut celle exposée plus haut, cela ne les offensait pas réellement. C’est donc lié au contexte dans lequel nous évoluons et la place qui nous est attribuée.

Un autre exemple serait la perception du Black Face, cette pratique qui consiste pour les blancs à s’enduire le visage de peinture ou d’huile noire afin d’imiter une personne noire. Léonora Miano, toujours dans « Afropea » décrit toute la violence de cette pratique en référence à un festival dunkerquois au cours duquel, des blancs s’étaient grimés en subsahariens :

« Si cette dernière (la peau) devient un élément de déguisement, c’est qu’elle est signifiante et qu’il faut s’assurer de pouvoir la retirer afin de reprendre figure humaine. Hormis le cas où on se déguise en animal pour amuser les visiteurs des parcs d’attractions, il est rare que l’on procède ainsi. L’imitation d’êtres humains recourt à l’emploi d’accessoires dont les personnes représentées elles-mêmes pourraient se passer. La peau n’entre pas dans cette catégorie, d’où le caractère agressif du procédé. »p.40

Il est complètement légitime pour les afropéens ou encore les afroaméricains, également en minorité de s’offusquer de cette pratique. Leur couleur de peau est tournée en ridicule. Elle est considérée comme dégradante et utilisée uniquement dans un contexte comique.

Si aujourd’hui, je suis sensible à la douleur des afropéens, ces pratiques de Black Face me touchent dans une moindre mesure. C’est lié à l’environnement dans lequel j’ai grandi mais aussi à ma distance avec ma terre d’accueil, la France. Je n’y cherche pas ma place car j’appartiens à un ailleurs. Lorsque certains s’adonnent au Black Face, je n’ai pas le sentiment qu’ils s’adressent à moi. Je ne m’y reconnais pas car je n’ai pas grandi dans un environnement qui me renvoyait sans cesse à ma couleur de peau à laquelle était rattaché tout un tas de préjugés. Cela ne veut pas dire que je ne nie le problème ou que je suis insensible à la cause.

Pour en revenir au sujet de départ, lors de l’échange avec les participantes du club de lecture, j’avais tenté d’opposer un second argument. A mon sens, nous n’avions pas à attendre des blancs qu’ils arrêtent de s’approprier nos cultures, c’était à nous de les promouvoir. On ne peut pas indéfiniment attendre de l’oppresseur qu’il renonce à ses privilèges pour nos beaux yeux.

Avec du recul, je me rends compte que c’est la position que j’ai également sur le racisme. Selon moi, le plus important n’est pas de changer la vision du raciste mais plutôt de redonner confiance au racisé afin qu’il ait pleinement conscience de son potentiel.

Sur ce dernier point, Léonora Miano semblait être sur la même longueur d’onde. Lors de l’échange que nous avons eu autour de son livre « Afropea », elle exhortait les afropéens à envahir leur espace, à prendre la place qui leur est due. Pour cela, il fallait s’organiser tant sur le plan national qu’à l’échelle européenne ; lancer des projets, se soutenir etc.

Sans remettre complètement en cause ma position de départ qui est de promouvoir nous-mêmes notre culture, je comprends tout à fait la démarche des afropéens. En Afrique, il subsiste une pensée coloniale et parfois un complexe d’infériorité dont il faut se libérer. C’est une démarche personnelle de tout africain qui ne requiert pas l’implication des blancs.

En revanche, les afropéens, en situation minoritaire, se heurtent forcément à une opposition des dominants non désireux de renoncer à leurs privilèges. Ces derniers tentent naturellement d’étouffer toute tentative d’éveil ou d’élévation des dominés. Je peux donc comprendre cette volonté qu’ont les afropéens de dénoncer ou de faire reconnaître le problème de racisme ou d’appropriation culturelle aux blancs et ainsi de les mettre face à leur responsabilité.

Concernant mon échange avec les participantes du club de lecture, si j’avais lu « Afropea » avant la rencontre, j’aurais été en mesure de mieux expliquer l’influence que le contexte dans lequel j’ai grandi a sur mes émotions et ma perception du monde. En réalité nous n’avions en commun que cette couleur de peau qui aux yeux des blancs nous rend indissociables. Pourtant, même le rapport à cette couleur diffère d’une zone géographique à une autre.

Je partage tout ceci car il est important d’en tenir compte lors des échanges. Être personnellement moins sensible à telle ou telle âneries des dominants ne nous rend pas nécessairement moins noirs. Nous sommes avant tout maliens, sénégalais, guadeloupéens, français, américains avec des histoires propres. Ce qui ne nous rend pas non plus insensibles à la douleur d’autrui. Je suis malienne mais la souffrance des intouchables en Inde me touche autant que celle de mes compatriotes. Simplement, il y a une différence entre être affecté personnellement par une situation et comprendre la douleur d’autrui ou faire preuve d’empathie.

Avec passion,

Dyna.