Afroféminisme, féminisme islamique et instrumentalisation du ventre des femmes noires

Dans une précédente publication, j’évoquais ma distance avec les différents mouvements en vogue comme le féminisme, le panafricanisme, l’afro-optimisme etc. Pourtant cela m’intriguait. J’aime aller au fond des choses afin de forger ma propre opinion. C’est le féminisme qui m’intriguait le plus. Au-delà des prises de position ou des postures pas toujours pertinentes sur les réseaux sociaux ou sur les plateaux télé, qu’en était-il réellement ? 

Des femmes brillantes s’étaient penchées sur la question. Il me fallait rapidement m’imprégner de leurs réflexions. Lors de cette première immersion, j’entendais comprendre le fondement des inégalités entre les sexes, l’état actuel des choses sur trois continents différents, l’impact de la culture et des questions raciales sur les différentes luttes et éventuellement des propositions d’inversion de ces schémas. Pour le moment, j’ai lu sept livres sur le sujet. Dans cet article , je n’évoquerai que ceux qui m’ont semblé pertinents.

J’ai débuté mon aventure avec un classique dans le domaine de l’afro-féminisme : “Ne suis-je pas une femme ? Femmes noires et féminisme” de bell hooks (écrit en minuscule à dessein selon la volonté de l’auteure). Je n’aurais pu mieux choisir. Dans son ouvrage de 300 pages, l’écrivaine et militante féministe bell hooks répond à toutes les questions que je me posais. Avant de la lire, je ne comprenais pas pourquoi les féministes noires avaient décidé de créer une lutte distincte. 

Vous comprendrez en lisant cet ouvrage que la question raciale est centrale dans les luttes féministes. Par exemple, dans un contexte étasuniens les femmes noires ont en réalité été doublement discriminées. D’une part, par le système capitaliste d’où le combat féministe et d’autres part par les féministes blanches qui ont non seulement profité de l’esclavage pour asservir les femmes noires mais les ont également exclues de leur lutte en ayant des revendications qui ne prenaient pas en compte la situation des femmes noires. Les premiers écrits des féministes américaines blanches le démontrent.

bell hooks démontre également au fil de l’histoire étasunienne comment les hommes blancs (ou les femmes blanches dans certains cas) ont construit des préjugés sur les femmes noires dont certains subsistent encore aujourd’hui. Tantôt femme libertine avec un corps très sexualisé, tantôt femme soumise ou alors la femme forte, la matrone qui émascule son conjoint, l’homme noir, contraint d’aller revendiquer sa virilité ailleurs (ce qui expliquerait le nombre élevé de mères noires célibataires aux Etats-Unis).

J’ai énormément apprécié la démarche très académique de bell hooks. Elle part toujours d’un postulat de départ et démontre son propos de manière quasi irréfutable. Elle est rigoureuse dans sa démarche et maîtrise complètement son sujet. Ce livre porte sur l’afro-féminisme mais ça ne l’a pas empêchée d’évoquer quelques méthodes utilisées par des hommes blancs ou carrément des institutions comme l’église catholique pour diaboliser et soumettre les femmes banches (contrairement, je le précise, à certaines féministes blanches qui n’abordent pas du tout les questions raciales ou la situation de femmes noires). 

Ce livre est juste passionnant. Je pourrais écrire un ouvrage entier sur tous les enseignements tirés de cette lecture. C’était tout simplement extraordinaire. Je l’ai dévoré en une semaine. Un chef-d’œuvre à remettre entre toutes les mains.

Françoise Vergès, éminente féministe et politologue française, dans “le ventre des femmes – Capitalisme, racialisation, féminisme”, se propose elle d’aborder la question de l’intersectionnalité. Son analyse est faite dans un contexte antillais. Le livre s’ouvre sur une découverte effroyable. Dans les années 60/70, des avortements et stérilisations en masse ont été perpétrés sur des femmes noires à leur insu dans une clinique réunionnaise.

Alors que dans la métropole, l’avortement était prohibé, il restait fortement recommandé dans les îles pour dira-t-on régler le problème de surpopulation. L’ennui c’est que pendant que cette propagande était organisée, les habitants de la métropole (j’entends là les Blancs) étaient fortement incités à rejoindre les différentes îles. C’est toute l’hypocrisie qui prévalait à l’époque. 

Cette gestion du ventre des femmes évolue en fonction des besoins et des époques. Car elle rappelle, comme d’ailleurs bell hooks, qu’au temps de l’esclavage, le ventre des femmes noires étaient utilisées pour produire de la main-d’œuvre dans les plantations. Ce faisant, elle établit un lien entre capitalisme, racialisation et féminisme.

Les écrits de bell hooks et de Françoise Vergès s’emboîtent bien. Elles abordent toutes les deux la question de l’intersectionnalité dans un contexte historique évolutif avec pour le premier une analyse sous le prisme étasunien et le second sous le prisme antillais.

Je me suis ensuite intéressée à la question de l’afro-féminisme dans un contexte brésilien à travers deux écrits de la philosophe et féministe afro-brésilienne Djamila Ribeiro. Pour être honnête, après bell hooks, rien ne m’a véritablement transcendée. Dans “le petit manuel raciste”, vous apprendrez quelques informations sur le brésil mais rien de novateur en termes d’afro-féminisme. 

En revanche, dans les “chroniques sur le féminisme noir”, j’ai trouvé certaines notions pertinentes. Djamila revient sur la question du racisme anti-blanc en expliquant que le racisme étant un système d’oppression qui nécessite des relations de pouvoir, il ne peut exister un tel racisme car les Noirs n’ont pas le pouvoir institutionnel.

J’ai également apprécié sa position sur les questions de quotas. Vous n’êtes pas sans savoir mon vif intérêt pour ce sujet que je considère désormais comme une étape nécessaire à l’accession à la pleine égalité. Elle évoque le concept d’équité aristotélicienne sur la discrimination positive. L’idée étant de traiter inégalement les inégaux pour promouvoir l’égalité effective.

Après le Brésil, j’ai décidé d’étudier la question du féminisme sous l’angle de la religion avec “Féminisme islamiques” rendu possible par la sociologue et militante féministe Zahra Ali. L’ouvrage donne la parole à des femmes musulmanes de diverses pays (Egypte, Iran, Maroc, Syrie, France, Etats-Unis, Malaisie etc.) et aborde les avancées en matières de féminisme dans un contexte musulman.

J’ai trouvé cet ouvrage édifiant. Il est parfait pour les personnes qui, comme moi, débutent et souhaiteraient avoir une vue d’ensemble sur les enjeux. C’est une belle introduction au concept.

En somme, en islam, la relation entre Dieu et les femmes est directe et sans médiations (des hommes). Une branche des féministes islamiques propose une relecture des textes sacrés. Par exemple, elles estiment que les interprétations proposées par les hommes ont été influencées par le climat misogyne qui prévalait au moment de la révélation. D’autres s’évertuent à prouver que le coran prône des valeurs d’égalité et d’équité entre les sexes.

Toutes ces notions m’ont énormément donné envie d’approfondir mes connaissances sur le sujet. Ma wish-list déborde déjà de références.

Comment conclure sans évoquer Thomas Sankara et son petit ouvrage “L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique”. C’était si rafraîchissant de lire un homme africain du vingtième siècle qui se positionne sans complexe aux côtés des femmes dans leur lutte qui selon lui est indissociable de celle pour la libération de l’Afrique. Il aborde brièvement les origines possibles du patriarcat en s’appuyant sur une théorie de Friedrich Engels et revient sur la notion de l’intersectionnalité.

Cette première immersion dans les mouvements féministes a été tout simplement édifiant. J’ai énormément appris. Pour autant, ma position reste inchangée. Je ne me revendique pas de ce mouvement. Mes positions sont miennes et vous commencez à les connaître. Je continuerai dans quelques semaines mon étude approfondie. Il reste encore tant d’ouvrages à découvrir sur le sujet et tant de nuances à saisir.

La question de la femme et de sa place dans la société est une obsession chez moi. Et avant toute chose, il me semble primordiale de prendre connaissance du sujet en profondeur. J’espère acquérir suffisamment de connaissances et surtout de confiance afin de pouvoir aborder le sujet et poser des actes dans un futur que j’espère proche.

En attendant, je vous laisse avec ces propos de Thomas Sankara :

La vraie émancipation de la femme, c’est celle qui responsabilise la femme, qui l’associe aux activités productives, aux différents combats auxquels est confronté le peuple. La vraie émancipation de la femme, c’est celle qui force le respect et la considération de l’homme. L’émancipation tout comme la liberté ne s’octroie pas, elle se conquiert. Et il incombe aux femmes elles-mêmes d’avancer leurs revendications et de se mobiliser pour les faire aboutir.

p.73

Avec passion,

Dyna.