Sembène Ousmane, un humaniste passionné

J’ai lu Sembène Ousmane pour la première fois au collège. Je l’avoue, “Les bouts de bois de Dieu” et le “le mandat” n’ont pas eu le même écho en moi à l’époque. J’étais jeune. Je vivais au Mali et surtout, je n’avais pas conscience de la place de l’Afrique dans ce tout que forme le monde.

Cette relecture du “mandat” suivie de la découverte du recueil de nouvelle “Niiwam” a été une révélation. On pourrait aisément parler de coup de foudre littéraire sans se tromper et de symbiose intellectuelle sans exagérer.

Sembène Ousmane est un auteur sénégalais. Il a vécu durant 15 années en France. C’est à cette période qu’il prend une pleine conscience des maux qui gangrènent son pays et l’Afrique en général. De même que moi, il ne lui était pas aisé de saisir l’ampleur du désastre lorsqu’il était sur place. Comme Sembène Ousmane, c’est en quittant mon pays que j’ai développé une certaine révolte interne. 

Pour apprivoiser ce nouveau sentiment, Sembène Ousmane choisit dans un premier temps l’écriture puis le cinéma. Il déverse dans ses œuvres avec fureur, non sans ironies, les tares des sociétés africaines. 

Il consacrera toute sa vie à la diffusion d’une critique constructive de ces sociétés et à la promotion du cinéma africain. D’ailleurs, le cinéma est l’art qu’il privilégiera afin, dira-t-il, de se faire comprendre par les populations sénégalaises majoritairement analphabètes.

Le “mandat” est précédé de la nouvelle “Véhi Ciosane”. Dans cette nouvelle, Sembène Ousmane aborde, avec brio, la question très sensible de l’inceste dans les sociétés africaines. D’ailleurs, plusieurs africains lui avaient conseillé d’abandonner son entreprise en affirmant que “cela jetterait l’opprobre sur NOUS LA RACE NOIRE et que les détracteurs de la CIVILISATION NEGRO-AFRICAINE s’en empareraient”. 

Mais Sembène Ousmane est de ceux qui pensent que “pour saisir le tout d’une époque, il est bon de se pénétrer de certaines choses, faits, conduites. Car ceux-ci nous aident à descendre dans l’HOMME, dans sa chute, et nous permettent de mesurer l’étendu du ravage.”

Dans la nouvelle “le mandat”, nous faisons la rencontre de Ibrahima Dieng, illettré et notable de son village. Durant toute l’histoire, ce dernier tente d’encaisser un mandat envoyé par son neveu résidant en France. 

À travers cette nouvelle, Sembène Ousmane met en lumière les bouleversements subis par la société sénégalaise suite au passage des colons. Il met tout particulièrement en exergue la bureaucratie assommante héritée de l’administration coloniale et la perte des valeurs de partage et de respect des aînés. 

Il démontre également la place prépondérante que prend l’argent dans la société sénégalaise à travers la corruption de l’administration et le mépris envers ceux qui n’ont rien. Ibrahima victime de ce système s’adresse en ces termes à son neveu :

De nos jours, l’étoffe de la confiance s’effrite. Je te demande de ne pas considérer l’argent comme l’essence de la vie. L’argent comme essence de la vie ne te conduit que sur une fausse route où, tôt ou tard, tu seras seul. L’argent ne solidifie rien. Au contraire, il détruit tout ce qui nous reste d’humanité.

p.182

Cette nouvelle est un chef-d’oeuvre absolu. Elle regroupe en 76 pages une pluralité de thèmes fondamentaux. Sembène Ousmane y fait également un vibrant hommage à la place centrale occupée par les femmes dans les sociétés africaines.

Le second recueil regroupe les nouvelles “Niiwam” et “Taaw”. Taaw est un jeune garçon brillant qui, dans d’autres circonstances, aurait été promis à un brillant avenir. Seulement voilà, il est issu d’une famille pauvre vivant dans un endroit reculé du pays. 

Les trajets reliant la maison à l’école sont éprouvants. Les notes, excellentes au début, s’en trouvent affectées. Dans cette nouvelle, Sembène Ousmane dénonce avec fougue les injustices sociales et en exposent les conséquences sur les enfants. 

Il démontre brillamment toute la supercherie autour de la méritocratie et redonne leur humanité à ces jeunes errant dans les rues à la recherche d’opportunités. Il aborde également le thème de l’urbanisation folle et sans âme des villes africaines repoussant toujours plus loins les plus marginalisés. 

Enfin et toujours dans le même registre la nouvelle “Niiwam” traite de l’ampleur des inégalités sociales. On y découvre un villageois venu en ville pour soigner d’urgence son bébé. Tout au long de son périple, il fera l’objet de mépris de la part de l’administration et des personnes issues de différentes couches sociales.

Qu’y a-t-il de plus grand que de consacrer son existence à la cause de son prochain ? Sembène Ousmane est avant tout un grand homme, un humaniste passionné qui durant sa vie a porté la voix de ceux qui sont réduits au silence.

Chacune de ces nouvelles est une œuvre magistrale et nécessaire. Les injustices dénoncées sont plus que jamais d’actualité dans un monde dominé par le capital et soumis aux règles de la mondialisation.

Si les littératures africaines vous intéressent et que l’injustice sociale vous répugne, lisez Sembène Ousmane !

Avec passion,

Dyna.