Vos parents vous foutent en l’air…

« Ils vous foutent en l’air, vos parents, même s’ils n’en ont pas l’intention. Ils vous remplissent de leurs défauts et en ajoutent quelques-uns juste pour vous. » Philip Larkin

Ma relation avec père a fait de moi celle que je suis aujourd’hui. Il est la personne la plus importante de ma vie. Celle qui aura eu le plus grand impact sur mon existence. Ces liens que nous entretenions ont façonné la jeune fille exigeante avec elle-même, réservée et passionnée que je suis devenue.

En règle générale, je vis très mal l’échec. Encore aujourd’hui, la critique me bouleverse. Enfant, je me surpassais constamment car père avait de grands projets pour moi. Il fallait que je sois la meilleure. Lorsque dans ses yeux, je lisais de la fierté au vu de mes résultats brillants, cette exigence envers moi-même décuplait.

Cela a été possible grâce au cadre instauré très tôt. Telle une princesse dans une cage dorée, j’étais entourée de biens matériels. En contrepartie, je devais briller. Il  a fallu renoncer à ma liberté. Il n’est donc point exagéré d’affirmer que j’ai connu une enfance « chez moi »…

Deuxième née d’une famille de trois filles, je n’ai jamais vraiment su ce qu’était la liberté. Inquiet pour la sécurité et le bien-être de ses filles, père a très tôt développé à notre égard un besoin obsessionnel de protection. Il s’immisçait dans toutes les décisions nous concernant et s’occupait de toutes les formalités administratives. Cette obsession qu’il avait de nous protéger nous a valu d’être, à plusieurs reprises, privées d’expériences intéressantes qui auraient pu, d’une manière ou d’une autre, forger notre caractère…

J’ai grandi « chez moi », entourée de livres et de cours et constamment en quête de la validation de ce père que j’admirais tant. De cet environnement clos est né une jeune femme réservée et solitaire.

Pour me chahuter, certains camarades me qualifiaient de « prisonnière », d’autres « d’ornement de maison ». Cela faisait jaillir en moi des frustrations et me renvoyait avec violence à ma situation. J’étais jeune, je voulais sortir, m’amuser et découvrir le monde…

C’est à cette période de ma vie que je fis la découverte de Jean-Paul Sartre à travers cette pensée :

« Être libre, ce n’est pas pouvoir faire ce que l’on veut, mais c’est vouloir ce que l’on peut. » Jean-Paul Sartre

Cette rencontre fut une véritable révélation. Elle m’a permis de redéfinir mes priorités. Je ne désirais plus ardemment sortir comme toutes ces personnes de mon âge. La lecture s’est progressivement imposée à moi comme un refuge. De mon antre, le monde était à ma portée. Une passion fiévreuse pour la littérature naissait en moi…

J’ai eu une enfance « chez moi » mais j’ai appris à m’en accommoder… Lorsque nous agissions comme le voulaient nos parents, tout se passait pour le mieux. Père était plutôt absent. Il se consacrait avec passion et fougue à son métier… Lorsqu’il réapparaissait aux heures de déjeuner et de diner, nous échangions à peine… Les repas se prenaient en silence.

Loin de moi l’idée de vous dépeindre un homme austère. Simplement, la discipline était de rigueur.

Je n’étais pas toujours autorisée à sortir seule. Pour autant, mes journées étaient bien remplies. J’avais des cours particuliers à domicile et je pratiquais des activités extra-scolaires. Père était un grand adepte de ces activités. Tout comme lui, j’ai pratiqué les arts martiaux durant quelques années. Ancien champion de natation, il fit en sorte que mes sœurs et moi apprenions à nager très tôt. Cela contribua sans doute à faire de moi la grande sportive que je suis aujourd’hui…

Le reste du temps, nous étions ensemble. Nous dînions en ville, voyagions ensemble…. Lors de ces moments chaleureux, je découvrais un père drôle et plein de ressources. C’était aussi l’occasion de discuter les termes de nos envies futures et d’éventuelles permissions de sortie. Père était toujours de bonne humeur, il fallait en profiter…

Aujourd’hui, ma moitié me traite parfois, avec affection, de « femme des cavernes » car j’ignore certaines références de l’enfance. Avec du recul et un regard plus mature, je comprends la démarche de père. Il a simplement fait de son mieux. Il n’existe pas de manuel de procédure concernant l’éducation des enfants. Il a voulu faire de nous des femmes instruites et vertueuses. Il nous a inculqué des valeurs, transmis quelques principes. Ce faisant, il a parfois été submergé par ses propres craintes…

S’il m’est arrivé de lui en vouloir par le passé, je ne lui en tiens plus rigueur. Je suis fière de celle que je suis devenue.

Autrefois réservé et silencieux, père semble davantage s’ouvrir à moi. J’ai appris bien plus sur lui durant ces dernières années qu’en dix-huit années de vie commune… La distance fortifie nos liens, le manque intensifie nos sentiments.

C’est ainsi qu’en une fin d’après-midi, père me parla des oiseaux. Je soupçonnais déjà son amour pour la nature au vu des dizaines de plantes qui ornent l’intérieur et l’extérieur de notre demeure. Ce soir-là,  j’en ai eu la preuve formelle. Père, assis dans son jardin, contemplait les allées et venues des oiseaux. Il y en avait de toutes les couleurs. Ils venaient tous picorer les graines de mil qui avaient été dispersées sur la pelouse par ses soins. Soudain, il me parla avec entrain de leur vitesse de vol : « Tu sais, ils volent très vite ! Pas étonnant qu’ils se fracassent contre les vitres et retombent ensuite. »…

Il évoqua ensuite son enfance. Il chassait les oiseaux avec ses copains. A l’époque, il n’y en avait quasiment plus. Désormais, il avait droit, tous les dimanches après-midi, à un festival de couleur. Des oiseaux de toutes les tailles, de toutes les couleurs et de différentes espèces survolaient son jardin. Je me réjouissais de la passion qui émanait de son récit. Il a conclu en me disant qu’il y avait là un cadre très romantique. Je ne pus m’empêcher de m’esclaffer. Je ne m’étais pas encore habituée à ce côté romantique de père découvert récemment…

Ces moments brefs et intenses nous rapprochent et permettent aux blessures du passé de cicatriser davantage. Ils me rappellent avec force une certitude : mon amour inconditionnel et irrévocable pour ce père.

Vos parents vous foutent en l’air ou vous élèvent… Dans les deux cas, ils vous font à leur image. Que cela plaise ou non, ce ne sont que des hommes.

Avec passion,

Dyna.