Du fléau de l’inceste en littérature

C’est en écoutant des podcasts que j’ai saisi toute l’ampleur du phénomène de l’inceste dans la communauté noire tant en Afrique qu’en Europe. Les paroles se délient de plus en plus et les victimes osent porter plaintes dans certains cas.

Ma plus effroyable découverte a été d’apprendre qu’en France, en moyenne 3 enfants par classe étaient victimes d’inceste selon les statistiques. Nous ne disposons pas encore de chiffres fiables sur la communauté noire mais je suis convaincue que le fléau fait autant de ravage.

L’inceste reste un tabou dans l’ensemble des sociétés. C’est un sujet malaisant, qui dérange. Lorsque l’on en parle, les gens ne prennent pas part aux échanges. Ils détournent le regard. Ils sont gênés, troublés. « On ne parle pas de ce genre de choses voyons ! ».

J’ai été surprise d’apprendre le lien entre inceste et patriarcat. Car selon les experts, c’est avant tout une question de pouvoir et de domination du patriarche, le plus souvent, sur l’enfant mais aussi sur la mère, réduite au silence par la crainte.

Les chiffres sont affolants. Et pour en prendre la pleine mesure, je vous conseille la série « Ou peut-être une nuit » du podcast « Injustices » de Louis Media.

En littératures africaines, il me semble que le sujet est peu abordé comparé à d’autres phénomènes de société moins graves. Je vous ai récemment parlé de la nouvelle « Véhi Ciosiane » du Sénégalais Sembène Ousmane. Il y aborde avec beaucoup de courage la question au mépris des mise en garde de sa communauté.

Récemment, j’ai lu deux autres titres d’auteurs contemporains. Il s’agit de « La boue de Saint-Pierre » de la Congolaise Ralphanie Mwana Kongo et « Ma mère se cachait pour pleurer » du Gabonais Peter Stephen Assaghle.

Le premier titre met en scène la vie misérable de Pélagie, victime d’inceste et contrainte d’enfanter les fruits de cette abomination. L’histoire se déroule au Congo dans un quartier périphérique extrêmement pauvre et abandonné des politiques. Il est surnommé Tchibodo à cause de la boue qui est à l’image même des habitants. A travers l’histoire de Pélagie, c’est toute la vie de ce quartier que met en scène l’auteure entre inceste, ivrognerie, prostitution et violences conjugales.

On disait même que les deux fils de Pélagie étaient de son père, mais personne n’en avait la preuve. Les gens en parlaient sans trop vouloir en dire, pour ne pas avoir l’air de se mêler de ce qui « ne regardent personne ». C’était une société basée sur le tabou, les non-dits, les silences complaisants. On taisait les incestes, fermait les yeux sur les histoires sordides du quartier.

J’ai beaucoup aimé l’approche de l’auteure. Elle tente tant bien que mal de redonner toute leur humanité à ces marginalisés. Elle va plus loin en dressant une sorte de satire qui dénonce les méfaits de nos gouvernants avec à la fin une belle leçon de morale.

Si je devais émettre une réserve, je dirais qu’il y avait une certaine déconnexion entre les deux histoires. Le personnage de Pélagie disparaît brusquement et cela m’a un peu gênée. 

Néanmoins, mon amour pour les causes sociales n’étant plus un secret pour personne, je ne peux que recommander cette oeuvre. 

La deuxième histoire se passe au Gabon. Un amour pur, comme seuls savent le ressentir les jeunes insouciants, lie Fam, le personnage principal et Rita. A travers cette histoire, l’auteur porte un regard sur les tares de nos sociétés : inceste, viol, grossesses précoces, avortement etc.

Si le sujet de l’inceste m’a paru divinement bien traité avec une mise en exergue de la notion de domination, c’est bien la place que l’auteur octroie aux femmes qui m’a profondément touchée. Il parle d’elles avec tant d’amour et de tendresse qu’il est difficile de ne pas qualifier ce livre de féministe.

Je me rapprochai de la porte de la cuisine pour vérifier si tout allait bien. J’entendis des reniflements qui me pincèrent le coeur : ma mère se cachait pour pleurer. Elle pleurait en maudissant son mariage. Il lui arrivait souvent de pleurer à cause des peines que mon père avait pu lui infliger auparavant, mais cette fois-ci c’était mille fois plus alarmant.

« Ma mère se cachait pour pleurer » est sans nul doute l’un des meilleurs titres de roman qu’il m’a été donné de lire. Il  renferme à la fois une dimension poétique et tragique. Car qui aimerait voir une mère pleurer ? 

Mon personnage préféré est sans surprise cette mère qui se cachait pour pleurer. Cette femme m’a profondément bouleversée. Ses choix me révoltaient mais je les comprenais. Son attitude face aux bassesses de la vie force l’admiration. Et parce que rien n’est jamais vraiment simple, le dénouement final offre une vision peu reluisante d’elle en la dépeignant dans toute sa complexité. N’est-ce pas cela être humain ? 

Ce livre est d’une beauté touchante.

Avec passion,

Dyna.