Mépris et mépris de soi : l’usage inconsidéré des termes « bled » et « tribu »

Je hais le terme “bled” et je m’emploie à ne jamais l’utiliser.

Lorsque les parents africains de la diaspora veulent punir leurs enfants, ils menacent de les envoyer au “bled”. Certains m’ont raconté qu’ils tremblaient à cette idée et faisaient tout pour retourner dans les bonnes grâces de leurs parents.

Ce terme péjoratif est teinté de mépris et les parents l’ignorent sans doute mais il contribue très tôt à la construction de l’imaginaire de l’enfant.

Les mots ont leur importance dans les rapports entre les individus et les groupes. Ils peuvent être utilisés pour déshumaniser, exclure ou incriminer. L’histoire l’a prouvé.

L’usage du mot “tribu” est un autre exemple évoqué par Ngugi wa Thiong’o dans son ouvrage “Pour une Afrique libre”. 

Ce terme est fortement connoté. Nous le savons tous, pourtant, nous continuons à l’utiliser dans toutes ses variantes : tribalisme, guerre tribale etc. C’est peut-être pour cela que Ngugi a titré le chapitre en question “mépris et mépris de soi”. Car c’est de cela dont il est question, le “mépris de soi”, au même titre que l’emploi du terme “bled”.

Il fait un parallèle intéressant dans le livre. Le monde considère que trois cent mille Islandais constituent une nation tandis que trente millions d’Igbos constituent une tribu. Pourtant ces derniers regroupent tous les critères d’une nation : une histoire commune, une même terre, une vie économique, une langue et une culture partagée.

Je me suis amusée à lire les définitions de “nation” et de “tribu” dans le petit Larousse. Voilà ce qu’il en ressort : 

Une nation est “un ensemble d’êtres humains vivant dans un même territoire, ayant une communauté d’origine, d’histoire, de culture, de traditions, parfois de langue, et constituant une communauté politique.” ou encore “une entité abstraite, collective et indivisible, distincte des individus qui la composent et titulaire de la souveraineté.”

Les  synonymes proposés sont, “patrie” pour la première définition et “pays” “peuple” ou “puissance” pour la seconde.

Toujours selon le petit Larousse, une tribu est une “agglomération de familles vivant dans la même région, ou se déplaçant ensemble, ayant un système politique commun, des croyances religieuses et une langue communes, et tirant primitivement leur origine d’une même souche.” ou “une communauté fondée sur des codes communs.”.

Les synonymes proposés pour le terme “tribu” sont “clan”, “ethnie” ou “peuplade”.

Nul besoin de commenter. Les mots ont un sens bien précis et leur usage révèle les dynamiques qui régissent les rapports entre les puissants d’un côté et les faibles de l’autre.

Ngugi wa Thiong’o, toujours dans son livre “Pour une Afrique libre” dénonce à juste titre l’instrumentalisation de la question tribale dans l’explication des conflits opposant différentes communautés africaines.

Il y a tout juste quelques jours, j’écoutais une interview d’un homme politique ivoirien sur RFI portant sur la nomination d’un nouveau vice président par le président ivoirien Alassane Ouattara. Le journaliste s’est empressé de demander si le fait que le président et le vice président viennent de la même zone du pays n’était pas susceptible de créer des tensions.

Cela n’est malheureusement pas un cas isolé. En Afrique, les actualités politiques ou les conflits sont systématiquement analysés sous le prisme de rivalités ethniques par les médias étrangers. Ce qui empêche toute analyse objective de la situation et la mise en avant des causes réelles.

Pourtant lorsque l’on remonte le fil de l’histoire, on constate qu’il y a des forces étrangères qui ont contribué à exacerber les tensions entre certains peuples africains.

Avant de poursuivre, il est important de préciser que l’histoire de tous les peuples du monde a été faite de successions de conflits et de moments d’apaisement.

Je ne suis donc pas en train d’affirmer que c’était un long fleuve tranquille avant l’arrivée des étrangers. Mais force est de constater que certaines situations conflictuelles d’aujourd’hui trouvent leurs origines à l’époque de l’occupation.

Il arrivait que l’étranger favorise une région au détriment d’une autre. Par exemple, les régions avoisinant les grandes villes étaient plus développées avec de meilleures infrastructures car elles étaient proches du cœur de l’activité capitaliste. 

En revanche, les régions productrices de matières premières servaient simplement de réservoir. Leurs populations étaient dépossédées des ressources de leurs terres et très souvent contraints à l’exil. Le modèle était parfait car il y avait justement un besoin criant de main d’œuvre en ville. 

Au développement régional inégal s’ajoutait un développement social inégal. L’étranger favorisait souvent une communauté au détriment d’une autre dans l’attribution des postes.

Des illustrations de ces développements inégaux se retrouvent au Soudan et au Rwanda. Il suffit de remonter aux origines des conflits et génocides ayant marqué ces pays.

Enfin l’étranger veillait en permanence à éviter tout rapprochement entre les différentes communautés. Dans certains pays comme le Kenya par exemple, les organisations politiques ou sociales intercommunautaires ont longtemps été interdites.

Quelle ironie donc de voir aujourd’hui que des personnes instrumentalisent des situations qu’ils ont eux-mêmes contribuer à créer.

En somme, les mots ont leur importance et contribuent à la construction de notre imaginaire. Nous devons faire preuve de discernement afin d’appréhender leur poids historique et redoubler de vigilance quant à leur emploi. 

Avec passion,

Dyna.